Le Comité Hygiène, Sécurité, Conditions de Travail académique est réuni en session extraordinaire jeudi 12 septembre 2013 suite au suicide de notre collègue Pierre Jacque.
Les représentants des personnels nommés par le SNES-FSU au CHSCTA entendent mettre l’administration et les corps d’inspection devant leurs responsabilités.
Parallèlement à l’action syndicale contre la réforme STI2D qui se poursuit, notre objectif est de faire la démonstration que l’organisation du travail induite par la réforme est génératrice de souffrance pour les personnels afin d’imposer la mise en place d’un groupe de travail et de suivi spécifique à la réforme STID en CHSCTA, des visites d’établissements, un questionnaire à destination des personnels.
A l’issue de ce travail, le CHSCTA émettra des préconisations à destination de l’administration rectorale.
Le SNES-FSU exige la tenue d’un CHSCT ministériel et la déclinaison de cette démarche dans toutes les académies.
Nous publions ci-dessous la déclaration liminaire du SNES-FSU lue en ouverture de la séance par Caroline Chevé, chargée des lycées au SNES-FSU Aix-Marseille et membre du CHSCTA. Un pdf affichage ou diffusable dans les établissements est joint à cet article en bas de page.
NOUS VOUS INVITONS à PUBLIER CI-DESSOUS VOTRE PROPRE TEMOIGNAGE sur le TRAVAIL RENDU IMPOSSIBLE PAR LA REFORME STI2D
Les membres représentant les personnels au CHSCTA issus du SNES sont Séverine Vernet, secrétaire du CHSCTA, Aurélia Dessalles, Stéphane Rio, bernard Ougourlou-Oglou et Caroline Chevé.
Le suicide de Pierre Jacque et les hommages qui lui sont rendus : lire ici
Le SNES écrit au Ministre sur la réforme STI2D :lire ici
Les pistes de travail concrètes avancées par les représentants du SNES et de la FSU au CHSCTA : Lire ici
N’HESITEZ PAS à LAISSER un COMMENTAIRE en bas de page POUR TEMOIGNER DES SITUATIONS D’ENSEIGNEMENT QUE VOUS VIVEZ SUITE à la REFORME STI2D.
DECLARATION LIMINAIRE du SNES-FSU au CHSCTA du jeudi 12 septembre 2013
A la veille de la prérentrée, Pierre Jacque ne s’est pas seulement donné la mort. Il s’est donné la parole. Il l’a prise, et par son geste il exige qu’on l’écoute.
Pourquoi a-t-il fallu que ce professeur, que cet homme aimé et estimé de tous pense que son geste était le seul moyen pour cela ? A quelle surdité s’était-il heurté, qui lui a coûté la vie ?
Notre intention est bien de faire porter ce CHSCT sur les missions qui sont les siennes : les dispositifs, les interventions, les préconisations en direction des enseignants du lycée Artaud, des professeurs d’électronique, de génie civil, de génie mécanique, de physique appliquée...comme ils se nomment encore quand ils parlent d’eux. Et peut-être aussi de tous ces professeurs qui subissent ou subiront une réforme qui transforme radicalement leur métier, comme les professeurs de Langues vivantes auxquels l’Institution a fait une vie impossible l’an dernier.
Mais d’abord au nom des personnels que nous représentons ici, au nom des professeurs de la voie technologique, au nom du syndicat majoritaire de la profession, je voudrais dire ici que l’institution savait et qu’elle s’est montrée sourde. Sourde au professionnalisme, à la colère, à l’écœurement, sourde à la souffrance engendrée par l’impossibilité de faire un travail que l’on veut bien faire, que l’on veut faire bien.
Je voudrais dire que les corps d’Inspection savaient et qu’ils se sont montrés sourds. Que l’administration savait, et qu’elle s’est montrée sourde. Par la voie de leurs représentants dans plusieurs audiences auprès des corps d’Inspection, dans les Comités Techniques et les Commissions Administratives ; par des courriers directement adressés au Recteur et aux Inspecteurs par les équipes, sur les locaux, les équipements, le changement de discipline, les besoins en formation, la réforme STI2D ; par la presse même, et l’on sait que l’administration y est attentive, les collègues de STI ont dit leur rejet de cette réforme, leur impossibilité de faire leur travail et leur inquiétude sur le devenir de la voie technologique et des élèves. Mourir de ne pas pouvoir enseigner, écrit Médiapart aujourd’hui. Trois ans après un bel article de Louise Fessard venue visiter le lycée du Rempart et le lycée Diderot à la rentrée 2010, et assister à une réunion de professeurs de STI. Lisez-le, tout y était déjà dit, publiquement. (Cf. PJ 1)
Je voudrais aussi que l’on s’accorde bien sur ce dont il est question aujourd’hui. Personne ne peut prétendre énoncer les causes réelles d’un suicide. Mais dans le cas de Pierre Jacque, ce que nous avons, ce à quoi nous devons toute notre attention, c’est sa parole et c’est elle qui donne à son geste le sens qu’il a voulu lui donner. C’est cette lettre, qui est un réquisitoire contre l’institution.
Un suicide, ce n’est rien d’autre qu’un homme vaincu par la réalité. Et cette réalité, celle de Pierre Jacque et des professeurs de STI depuis trois ans, elle était connue, vous la connaissiez et vous en connaissez les causes. L’institution a exercé sur ses agents une série de violences que vous me permettrez de rappeler rapidement.
D’abord la destruction progressive de leur identité professionnelle.
Dans tout travail on investit une part de ses convictions, de ses valeurs. Les professeurs de STI, souvent issus de l’industrie sont viscéralement attachés à la manipulation, à la production, aux liens avec le monde du travail. Ils ont élaboré une pédagogie inductive qui a fait réussir des milliers de jeunes. Ils portent viscéralement en eux l’ambition de la démocratisation de l’accès aux qualifications. Les machines mises au rebut, c’était toute leur pédagogie, tout leur savoir-faire au rebut. La conférence de presse de Luc Chatel à Louis le Grand, temple de l’élitisme, pour le lancement de la réforme a été une première gifle.
L’identité professionnelle des enseignants, c’est aussi leur maîtrise disciplinaire qui fonde la légitimité de leur présence auprès des élèves. Pas une réunion, pas une conversation, pas un courrier dans laquelle les professeurs ne l’exprimaient : l’enseignement transversal institué par la réforme et destiné à rendre les professeurs interchangeables a été vécu comme une humiliation. Il faut 4 ou 5 ans pour former un professeur de Génie Civil, d’Electronique, de Génie mécanique. Il faut passer un concours extrêmement exigeant qui certifie un niveau académique.
Mais quand la réforme s’est mise en place, on leur a demandé d’évaluer eux-mêmes, en toute subjectivité leurs compétences dans telle ou telle discipline qui n’était pas la leur. Le fameux Vademecum (Cf. PJ 2) qu’ils ont découvert en 2010 était une vraie mascarade. Il suffisait donc de quelques jours de formation pour devenir professeur de STI2D et enseigner une discipline à laquelle on ne connaissait rien !
L’Inspection a masqué son incurie derrière un discours de confiance et de flatterie. Contrairement aux enseignants qui demandaient une vraie formation, elle avait renoncé à défendre les disciplines et les savoirs ! (Cf. PJ 3 à 5)
Le triste épisode du changement de discipline en septembre 2012 l’a confirmé. Rien n’obligeait à appliquer cette procédure et encore moins à lui donner cet aspect hypocrite d’un choix personnel, que personne ne voulait faire. Les enseignants ont refusé, écrit aux Inspecteurs, nous avons montré que c’était une nouvelle violence inutile. (Cf PJ 5) Rien, n’y a fait. Une machine folle que plus aucun esprit critique n’arrêtait. On a infligé le changement de discipline aux professeurs de STI comme ça, pour rien, mais avec quelle volonté !
Toute la psychologie du travail reconnait la notion de « travail empêché » et ses effets néfastes sur la santé psychique et physique des travailleurs. Ce sont ces situations de travail dans lesquelles les injonctions contradictoires et les conditions dégradées placent le travailleur dans l’impossibilité de mener à bien sa tâche et de se reconnaître dans ce qu’il fait. France Télécom, La Poste, l’Education Nationale… Les entretiens menés dans l’académie et ailleurs avec des professeurs de STI en portent la trace permanente. (Cf PJ 6 et 6Bis)
Il a fallu préparer les élèves au bac sans connaître les sujets. Leur transmettre des connaissances qui n’en sont pas. Etudier des systèmes qui n’étaient pas encore arrivés. Accueillir 16 élèves dans des salles prévues pour 15. Faire cours dans des laboratoires qui n’existaient pas. Faire croire aux élèves qu’on leur prépare un avenir en sachant que la réforme ne répond en rien aux attentes du monde du travail. Exercer sa liberté pédagogique, être un enseignant exigeant et consciencieux et subir en permanence les pressions de la hiérarchie, chefs de travaux, chefs d’établissement, Inspecteurs qui savent bien que cette réforme prend l’eau de toute part. (Cf. PJ7)
Là encore on a pu constater le zèle des différents acteurs à mettre en œuvre la réforme : les IPR, certains chefs d’établissements, certains chefs des travaux.
Car enfin il faut caractériser le rôle joué par la hiérarchie.
Ces dernières années les relations entre la profession et sa hiérarchie ont changé de nature. La réforme STI2D en est le cas le plus emblématique, mais il n’est pas isolé, et je pense encore aux enseignants de Langues vivantes par exemple. Ces rapports étaient autrefois fondés sur l’idée d’une évaluation des enseignants par leurs pairs, les Inspecteurs, sur la base de l’excellence professionnelle et académique de ces derniers. Désormais l’Inspection Générale et les Inspecteurs Régionaux se sont mués en véritable VRP des réformes, défendant avec zèle et ardeur des réformes auxquelles nul ne peut penser sérieusement qu’ils croient. L’évolution de leur propre statut et de leur évaluation, a-t-elle à voir avec cette perte d’esprit critique et cette docilité à endosser des discours idéologiques tournant ostensiblement le dos à l’analyse, à l’observation, à l’expérience ? Affirmant que les moyens ont été donnés, que la formation est substantielle. Alternant flatteries (« mais oui vous avez les compétences…) et reproches, comme au lycée Artaud en mai 2012, quand vous avez reproché devant les parents et les élèves élus au CA aux collègues leur retard dans le programme alors que les locaux n’étaient pas prêts à la rentrée ou leur manque d’investissement alors qu’ils avaient dans leurs rangs des formateurs, et Pierre Jacque. (Cf. PJ 5)
Par contre l’an dernier les professeurs de STI de l’académie n’ont cessé de le dire : où sont passés les Inspecteurs que l’on avait tant vu promouvoir la réforme ? Les collègues se sont sentis bien seuls face aux difficultés et à l’approche du baccalauréat. Et il faut bien le dire, ils ne vous ont pas trouvés courageux.
Présents cependant vous l’avez été, pour quelques inspections, souvent vécues comme punitives, au cours desquelles des enseignants, qui avaient fait état de leurs difficultés se sont vu reprocher de ne pas avoir accompli l’impossible. Et sanctionnés pour cela dans leur carrière. N’aurait-il pas été possible de suspendre par exemple la notation pédagogique, de procéder à un avancement moyen, de laisser le temps d’adaptation nécessaire, d’apporter l’aide demandée ?
Les chefs d’établissement, certains chefs de travaux aussi ont été zélés. Suppressions de poste aidant, la réforme a permis de mettre les collègues en concurrence, pour des heures, des classes, un poste. Pour rester dans son établissement parfois, alors que les possibilités de repli de carte scolaire ne peuvent se faire qu’à plusieurs dizaines de kilomètre de là...
Les collègues connaissent les pratiques mesquines et honteuses de typage des rares postes vacants en postes spécifiques, sur des bases professionnelles ténues, pour évincer un collègue fragile, briser une équipe récalcitrante, ou à l’inverse offrir une affectation à un collègue ayant les faveurs de l’Inspection ou de la direction.
Quelle aubaine, pour se débarrasser d’un collègue fragilisé, pour contraindre les collègues à courber l’échine et faire semblant d’appliquer la réforme, semblant d’enseigner, imposer des heures supplémentaires. Quelle pression sur nos collègues qui voulaient juste continuer à faire leur métier. La réforme s’appliquait, chacun pouvait prétendre que cela fonctionnait.
A quel prix ?
Ce management est la conséquence d’un système rendu fou par ses méthodes d’évaluation. Les indicateurs sont devenus une fin en soi et non les outils d’évaluation du système. Les apparences chiffrées sur des graphiques tiennent lieu de réalité. Et les résultats du premier baccalauréat prouveront que la réforme était bonne puisqu’ils seront bien meilleurs que les années précédentes. Quitte à mentir aux élèves, aux parents, aux employeurs. Quitte à tricher et à remonter les notes des élèves, en cachette, au mépris de la souveraineté du jury. Cette dernière gifle, ce dernier signe que l’on avait ôté tout sens à son métier, avec zèle et détermination, ont eu raison de Pierre Jacque.
Qui osera dire qu’il n’y a pas là de quoi briser un homme ?
Je ne sais pas si cette déclaration liminaire est à la hauteur des enjeux, je ne sais pas si nos collègues d’électronique, d’électrotechnique, de génie thermique, de physique appliquée, comme ils aiment encore à se nommer entre eux, jugeront que c’est ce qu’il fallait dire.
Mais je sais qu’au moment où nous commençons nos travaux, ils sont là, derrière leurs représentants, debout et attentifs, déterminés, comme ils l’étaient, plusieurs centaines, la semaine dernière aux obsèques de Pierre Jacque. Rappelez-vous que nos collègues, que les professeurs de STI nous regardent et nous écoutent. Ils vous regardent et vous écoutent. Debout, attentifs, déterminés… Et ce regard, nous allons le rencontrer souvent, vous allez le rencontrer souvent dans les semaines et les mois à venir.
Le CHSCT n’est pas tout puissant, il ne peut en particulier se substituer à la parole politique qui doit dire ce qu’elle entend faire de ces réformes.Mais il a des possibilités d’agir. Nous avons l’intention de les porter le plus loin possible.
A lire également : les propositions du SNES et de la FSU sur la question énoncées en cours de CHSCTA : lire ici